Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/223

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se héroïfier :sa préoccupation est de se dévoiler à nous tel qu’il est, dans le tréfonds de son âme. Il nous conte ses petites manies, ses mélancolies, ses découragements, ses attentes d’un article de journal, ses fièvres du succès, ses angoisses du silence, et jusqu’à cet égoïsme de la passion littéraire qui lui fait écrire, après la chute du Candidat, devant l’écroulement de Flaubert : « Au fond, cette chute est déplorable pour tout fabricateur de livres : pas un de nous ne sera joué avant dix ans. » Cela fait sourire M. de Bonnières, qui est probablement détaché de toutes ces mesquines préoccupations. Moi, cela m’émeut, et j’aime M. de Goncourt pour toutes les petites faiblesses, si humaines, et si charmantes, en vérité, chez un homme tel que lui.

C’est que, voyez-vous, mon cher Bonnières, quoi que l’on puisse penser de son Journal — et je n’en pense pas toujours du bien, et, dans l’avant-dernier volume, par exemple, j’y trouve beaucoup de choses qui me heurtent dans mes idées et ma façon de sentir la vie, et je l’eusse discuté, ce livre, si j’avais été chargé d’en rendre compte —, le cas de M. de Goncourt est assez rare, dans la littérature, et je vous souhaiterais d’en être atteint. Et je souhaiterais aussi, pour la beauté morale de votre profession et de la mienne, que des écrivain illustres, avilis par les caresses du monde et par les agenouillements d’une presse civilisée qui estime les talents au nombre des maisons où ils dînent, puissent montrer une