Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/269

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Et, encore, lorsqu’on a été, comme moi, un petit semeur qui passe, on peut se consoler en se disant que rien n’a germé des mauvaises graines semées au hasard. Mais ceux-là, dont on peut croire que la voix a retenti sur les foules, ceux-là, qui, peut-être, ont eu une action sur des âmes ignorantes et naïves, avec quelle mélancolie amère ils doivent faire leur examen de conscience.

Au fait, non. La graine semée ne germe pas ; la voix passe dans le vent, sans y laisser de trace. C’est encore de l’orgueil de croire que l’on a pu faire le mal.

Tenez, hier, j’ai relu La Lanterne de Rochefort, ce pamphlet terrible qui renversa l’Empire, disent les historiens du boulevard. Je croyais retrouver quelque chose de ce formidable esprit français, qui ébranla le vieux monde, la continuation de l’œuvre de Voltaire, de Beaumarchais, de Courier, de Veuillot ; je croyais au moins y respirer un parfum âcre de littérature, y voir le rire montrer les dents dans une lueur de torche. De l’esprit, certes, il y en avait, de l’esprit parisien, trop uniquement parisien, qui remue les mots plus que les idées, qui secoue le ventre du bourgeois frondeur et laisse l’artiste indifférent. Quoi, ce n’était que cela ? Une incontestable verve, mais un peu grosse, mais un peu forcée, une blague incessante, mais de procédé, une blague qui sonne le creux sous la mince surface de sa gaieté vide. Aussi j’imagine que La Lanterne ne fut pour