Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/280

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diesse de remonter jusqu’à la grande coupable, la grande responsable de tous les crimes, de toutes les monstruosités sociales : la société. Et c’est une sensation poignante qui nous étreint, en lisant une de ces monographies de M. Édouard Conte, faites en dehors de tout préjugé bête, de tout parti pris bourgeois — celle du souteneur, par exemple — de voir combien se dépensent pour l’œuvre de mal et se perdent tant d’ingéniosités, de ténacité, de force d’endurance et, parfois, de véritable héroïsme, faute d’une organisation sociale ; d’une répartition plus juste des richesses, qui permettraient d’utiliser pour l’œuvre de bien ces détestables vertus et ces énergies maudites.

Il ne faut pas se hâter de condamner, comme un juge, ces pauvres êtres pervertis, car sait-on jamais de quelle fatalité ils sont issus, ce qu’ils ont souffert, ce qu’ils ont rencontré d’infranchissable sur le terrible chemin de la vie ? Au fond de la déchéance d’un homme, il y a presque toujours une grande tristesse. Le poison est dans la vie, et, loin de l’atténuer, la société, avec ses lois d’inégalité, avec ses terreurs, avec ses injustices, le rend de plus en plus mortel. À chaque heure, à chaque minute, des milliers d’êtres humains fatigués de ne pouvoir briser les entraves mises à leurs désirs de joie, las de suivre les routes régulières et permises où ils ne reçoivent que des horions, où ils n’entendent jamais que des insultes, s’en vont, un beau jour, par les chemins interdits, chercher ce que