Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/33

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public, qui souvent n’ont pas de talent, et jamais de conscience, reçoivent de temps à autre des éclaboussures de cette boue qu’ils ont pétrie de leurs mains ? Et puis, à côté des vies souterraines que les événements parisiens jettent brusquement dans le rayonnement de leur lumière brutale ; à côté des petites statuettes de faux grands hommes, modelées sur des tables de café, entre deux verres d’absinthe et deux nouvelles à la main, comme ils nous font aussi mieux voir et mieux chérir ces existences silencieuses et dignes, consacrées tout entières au travail, et tout entières vouées aux lettres, loin du bruit, loin de la réclame, dans une obscurité résignée et sublime, dans un rêve ardent d’idéal poursuivi et atteint.

Deux hommes, deux écrivains, deux admirables artistes, M. Barbey d’Aurevilly et M. Leconte de Lisle, nous ont donné un grand exemple et une bonne leçon, en ces temps de compromissions épicières où tous — les forts et les faibles, les illustres et les obscurs — sont atteints de cette lèpre incurable et terrible : la réclame. On ne les a jamais vus, courant par la ville pour mendier l’éloge, flattant celui-ci, caressant celui-là, descendant à de petites lâchetés permises qui, pourtant, sont si bien protégées par l’indulgence du monde. Toujours au milieu des haines des imbéciles et des blagues des impuissants, ils ont gardé intact l’honneur du livre, ce qui est la plus belle et la plus