Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/36

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d’existence, il est rangé, bon camarade, indulgent et doux, complimenteur au besoin, accueillant, souriant, charmant. Il soigne sa réputation comme une plante, l’arrose, l’émonde, la garantit du soleil trop vif et de l’ombre trop noire, comme font les jardiniers habiles. Jamais il n’a froissé personne, et personne ne sait mieux que lui choisir ses relations au bon coin. On le voit aux soirées des femmes académiques, dans les loges du baron de Rothschild et, de plus, M. Albert Delpit, dont les opinions font loi, le protège depuis longtemps. Enfin, M. Ludovic Halévy, jugeant l’instant opportun, a publié un livre que les artistes et les gens de goût ne peuvent lui pardonner, mais que les dames ont trouvé admirable, et que l’Académie, je crois, a couronné, en attendant mieux. Ce livre, c’est l’Abbé Constantin. Ce fut de l’enthousiasme, si je me souviens bien, et Zola en demeura tout foudroyé.

Rien ne pousse dans la vie littéraire, comme un mauvais livre qui arrive à temps ; le talent est de le faire mauvais ; juste ce qu’il faut, et au moment où il parut, il fallait que le livre fût le plus mauvais possible. M. Ludovic Halévy n’y manqua point. L’Abbé Constantin décida les immortels à recevoir M. Halévy parmi eux. De telle sorte que le collaborateur de M. Henry Meilhac est entré à l’Académie, non parce que M. Meilhac avait eu beaucoup d’esprit et beaucoup de succès, mais parce que lui-même était l’auteur d’un roman d’où l’on ne peut dégager