Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/59

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roman qu’il publia l’année dernière, Le Crépuscule des dieux, lequel, comme tous les beaux livres et comme toutes les œuvres d’art pur, a fleuri doucement dans la nuit. Cette étude, sombre et vengeresse, de la fin d’une race royale, qui s’écroule dans le sang, dans la boue, dans la sanie, était le début de M. Bourges en littérature, et on ne pardonne pas au débutant isolé, qu’aucune camaraderie de boulevard ne porte, de se relever par un chef-d’œuvre, et Le Crépuscule des dieux était presque cela.

M. Alphonse Daudet avait, en ses Rois en exil, traité le même sujet, avec ses afféteries de joueur de guimbarde et sa pauvre petite vision de félibre resté bohème, là où il eût fallu la grande envolée du poète et la sévérité justicière de l’historien. Il a dû faire une bien laide grimace en lisant le livre de M. Bourges, qui lui montrait combien le talent pouvait élargir encore les larges sujets. Car c’est M. Bourges qui, véritablement a écrit les vrais Rois en exil, et nous les a fait voir, non point à travers les cancans de journaux et les petites anecdotes de café de la vie parisienne, mais à travers les épouvantables effondrements des races surmenées qui se pourrissent, des fortunes volées qui se désagrègent, des vices et des crimes longtemps impunis et qui finissent par recevoir leur châtiment, d’autant plus terrible qu’il s’est fait plus attendre. Et voyez la justice des choses : Les Rois en exil ont obtenu un grand succès, et Le Crépuscule des dieux a été à peine lu.