Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/62

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avis discrets, les visites et les recommandations ne produisaient sur lui aucun effet, on avait pris le parti de se dire, pour se consoler un peu : « Il ne compte pas » . Et on ne l’invitait pas aux soupers de centièmes. C’est juste, du moment que Sarcey compte, M. Bourges ne peut compter. Il ne compte pas, parce qu’il n’a jamais voulu galvauder son talent dans les complaisances et les camaraderies, parce qu’il travaille beaucoup et qu’il ignore l’intrigue, parce qu’il sait oublier Augier avec Shakespeare, M. About avec Voltaire, M. Dumas avec Beaumarchais, parce que, à cette époque où l’on n’aime plus rien que l’argent et les vanités qu’il procure à ses courtisans, M. Bourges aime la littérature, les délicates et intimes jouissances qu’elle donne à ses élus. Stendhal, montrant Julien Sorel, au milieu des séminaristes, ses compagnons d’étude, dit : « Il ne pouvait plaire, il était trop différent. » Puis, plus loin : « J’ai assez vécu pour savoir que différence engendre haine. »

M. Élémir Bourges, avec son savoir solide, son jugement robuste et subtil, avec sa passion d’idéal et sa fierté, au milieu de ses confrères, est trop différent. Je ne sais si, du haut de leur ignorance et de leur mauvaise foi, ses confrères le haïssent, mais à coup sûr ils le dédaignent. Et c’est ce dédain surtout qui nous le fait aimer. M. Bourges se consolera, en donnant, chaque