Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/66

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l’esprit aussi, ne se compose plus guère que d’étrangers venus de tous les coins de l’Orient se ruer à la curée française, sans autres préoccupations que les affaires d’argent et les conquêtes de la vanité en étalant un grand faste, semant l’or à pleines mains, décorés de titres bizarres et de renommées douteuses, parfois sanglantes. On les a tenus à l’écart pendant quelque temps, puis on leur a entrebâillé la porte d’un club, d’un salon ; et un beau jour on s’est trouvé tout étonné de les voir installés en maîtres partout. À Paris, si l’on résiste quelquefois à un homme, on ne résiste ni à ses paires de chevaux, ni à ses voitures, ni à ses maîtresses, ni à ses chasses. La fusion s’est donc opérée au point que cette fusion ressemble beaucoup à une conquête. Car, depuis, nos pauvres noms français font bien piteuse mine et sont en quelque sorte perdus au milieu de ces noms étrangers, à désinences barbares. Et les salons parisiens, quand on lit dans les journaux le compte rendu des fêtes, des dîners et des bals, nous apparaissent comme des casinos de stations thermales où vient se donner rendez-vous toute la pègre cosmopolite.

Cette invasion, à main armée… de billets de banque, a eu des conséquences sociales dont l’effet, par un travail inconscient et rapide, se fait cruellement sentir aujourd’hui. Elle a pour ainsi dire dénationalisé la société parisienne en bouleversant ses habitudes, en lui imposant des