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Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/74

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mourait, ressuscite en une explosion magnifique de mots retrouvés et nouveaux qu’elle avait oubliés et qu’elle ne connaissait pas. Les oreilles qui s’étaient montrées choquées du « mouchoir » risqué timidement sur la scène par Alfred de Vigny, entendirent avec délice le torrent de substantifs et d’épithètes retentissants qui roulait sur la vieille rhétorique abattue et les vieux systèmes déracinés. En même temps, à la froide et plate prosodie des Delille, des Baour-Lormian, des Andrieux, des Lebrun, succède, avec les Odes et ballades, les Feuilles d’automne, avec tant d’œuvres pleines de rêves et de pensée, un vers d’un charme non encore goûté, un vers abondant et scintillant, et « beau sans le savoir » . Ce vers chante comme la musique, évoque comme la peinture, modèle comme la sculpture. Même une sorte de génie d’architecture semble présider à la construction des rythmes qui s’élargissent, s’enflent comme les voûtes sonores, se dressent comme les portiques, sur les inébranlables assises des marches de marbre et des pontons de fer.

Le théâtre, le roman le poème, qui s’étaient faits coterie, redeviennent foule. Le clavier du génie humain reprend toutes ses notes méprisées et brisées. Et de bas en haut, du grotesque au sublime, le monument s’élève, semblable à la cathédrale gothique, dont la forêt de piliers et de colonnettes abrite tout un monde chimérique et réel, angélique et démoniaque, dans l’