Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/82

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lance pour rester, je ne dis pas insensible à ces injustices, à ces moqueries, à ces insultes, mais assez libre de ses facultés, assez confiant en soi-même, pour continuer la lutte et ne point succomber sous le découragement, brisé, comme tant d’autres, par l’ignorance éternelle et l’éternelle routine. Il est long et cruel, le martyrologe des artistes : les larmes et le sang l’ont mouillé et rougi à plus d’une page. Bien qu’il souffrît de ces persécutions, non seulement M. Zola ne se découragea pas, car il ne se sentait pas de goût pour le métier de martyr, mais il tint tête à la meute déchaînée des hurleurs, et, afin de les obliger à se taire, il leur lança ses livres à la tête et les assomma à coups de chefs-d’œuvre.

Aucun homme, en ce siècle, n’a été plus sottement plaisanté, plus durement insulté que Zola ; aucun sinon Manet, qui partagea avec son ami et son défenseur, cette première consécration enviable du mépris. Comme Zola, Manet avait un tempérament de lutteur, réfractaire aux concessions, mais plus nerveux que l’écrivain ; d’une constitution plus délicate et d’une sensibilité plus affectable, le peintre subissait plus douloureusement les injustices ; et les attaques, si elles ne l’ont pas tué, ont du moins hâté sa fin. De même que Zola poursuit un beau rêve de littérature, Manet avait rêvé un beau rêve d’art. Il avait tenté de ramener le dessin aux admirables synthèses des primitifs, de chasser la nuit des ateliers, d’y faire entrer à flots la clarté ; il avait tenté de mettre de la vision dans l’œil des