Page:Mirbeau - Les Écrivains (première série).djvu/95

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à cette chimère. Le provincialisme — cette substance vénéneuse — envahit aussitôt le Parisien, l’atrophie, le terrasse. Ses brillantes facultés se paralysent, son cerveau se vide de toutes les choses délicates qui l’ornaient. Et le voilà semblable à quelque larve inconsciente. En vain veut-il se rappeler qui remplit jadis, lors de la création, le rôle de Ménélas dans La Belle Hélène, il ne le peut pas. C’est au prix des efforts les plus pénibles qu’il revoit, vacillante lumière, Christian dans La Grande-Duchesse, et que la grande figure de Paulus lui revient, apothéotique encore, mais incertaine et brouillée. Il avance pourtant au milieu de cette désolation. Nulle part, aucune trace de vie, pas le moindre cordon de bec de gaz annonçant la cinq centième représentation d’une opérette en vogue. Il ne respire plus, il étouffe ; il se rend compte qu’aucun poète ne pourrait, dans ce milieu inhabitable, rimer le plus petit couplet de café-concert. Et, mélancoliquement, il se prend à songer à Paris. Hélas ! c’est l’heure délicieuse où l’on voit passer sur les boulevards M. Édouard Philippe. Ah ! quelle nostalgie… Des foules enthousiastes se précipitent vers des gouffres de lumière, empressées à se fortifier aux généreuses moelles de M. Albin Valabrègue. Et il entend de musicales rumeurs plus douces à l’oreille que les harmonies d’un céleste orchestre ; ce sont les critiques et les ministres, les députés et les gommeux, les banquiers et les savants, les poètes et les grandes dames, et les