Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/150

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dans mes bras les créatures de beauté et de chimère, les ultra-terrestres créatures telles qu’on les voit dans les poèmes. J’ai fait exécuter, par d’incomparables artistes, des femmes dont les chevelures étaient d’or vrai, les lèvres de corail pur, le teint d’une indiscutable pulpe de lys… les seins modelés dans de la neige véritable, etc, etc… Oui, mon cher monsieur… Eh bien…

— Eh bien ?

— C’était infumable…

Et il gémit :

— Oh ! être riche… être trop riche… funeste destin !… Et cette affreuse pensée qu’on peut tout avoir, à la minute même du désir, tout… même le génie littéraire… avec de l’argent !… Car j’ai aussi du génie littéraire… Je suis l’auteur d’une quantité de drames écrits par un jeune homme qui m’accompagne partout… Ces drames sont prodigieux et ils m’embêtent. Il n’y a rien d’aussi épouvantable que cela… parce que je ne sais pas moi-même à quel point je suis riche… J’ai beau, chaque jour, piquer des têtes dans la mer immense de ma richesse, jamais je n’ai pu en atteindre le fond. Connaissez-vous mes jardins ?

— Non… mais comme je voudrais les connaître !

— Ce sont des jardins de cinquante hectares, où toutes les fleurs de toutes les flores sont artificielles, et renferment de petites lampes électriques dans leurs calices. Le soir, quand la nuit vient, je tourne