Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/167

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était un excellent homme, si tant est qu’on puisse dire d’un empereur qu’il soit un homme, un simple homme, comme vous, moi, et tout le monde. Diable ! je n’ai pas cette hardiesse. Enfin, c’était un excellent empereur, le vrai père de son peuple, et je ne suis pas fâché que votre République ait donné son nom à un pont de France. Voilà un pont qui doit, il me semble, relier l’une à l’autre des choses extraordinaires et mystérieuses. Prétendre que l’empereur Alexandre III fut mon ami, ce serait sans doute beaucoup dire. Il m’honora de sa bienveillance, telle est la vérité, et, dans bien des circonstances, il se montra généreux envers moi. J’ai de lui, non une tabatière, mais un porte-cigarettes en argent, à mon chiffre, incrusté de pierres bizarres, comme on en trouve dans les mines, près du pôle… Cela ne vaut pas grand-chose, et n’est guère beau. Je possède aussi, ma foi ! une boîte d’allumettes, d’un métal inconnu qui sent le pétrole, et sur lequel il est impossible d’allumer quoi que ce soit. Mais la beauté de ces souvenirs impériaux ne réside pas dans leur plus ou moins de richesse, dans leur plus ou moins de valeur marchande ; elle est tout entière dans le souvenir même, n’est-ce pas ?

« En Russie, j’occupais alors – je parle de six ans – une situation analogue, mais inférieure, s’entend, car il n’est qu’un Febvre au monde – à celle que votre grand Frédéric occupa glorieusement, sous la monarchie de Napoléon III. C’est vous