Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/222

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très vieille et comme il n’y en a plus que dans les provinces décentralisées, stationnait sur la route, en face du groupe. Ce rassemblement insolite m’intrigua, car la route était ordinairement déserte, et l’on n’y rencontrait que des rouliers, de loin en loin, et de vagues bicyclistes. C’est à cause de sa solitude que je l’avais choisie, et aussi parce qu’elle était bordée de vieux ormes qui ont cette chance unique, invraisemblable, de croître librement et de n’être jamais mutilés par l’administration des ponts et chaussées. À mesure que j’avançais, le groupe s’animait davantage, et le cocher de landau était entré en colloque avec le gendarme.

» – Quelque affaire litigieuse de bornage, sans doute, me dis-je… ou bien, un duel empêché, peut-être ?

« Et je m’approchai du groupe, intérieurement chatouillé par l’espoir que se vérifiât cette dernière hypothèse.

« J’habitais le village des Trois-Fétus depuis peu de temps, et n’y connaissais personne, étant très timide, par nature, et fuyant, par principe, le commerce des hommes, où je n’ai jamais trouvé que duperie et malheur. Hormis cette matinale et quotidienne promenade sur cette route peu fréquentée, je restais, tout le jour, enfermé dans ma maison, à lire des livres aimés, ou bien occupé à biner les planches de mon modeste jardin, que de hauts murs et un épais rideau d’arbres protégeaient