Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/244

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nions et ce parti fussent-ils diamétralement opposés à ceux des électeurs. » Cette opération que les arracheurs de dents pratiquent journellement sur les places publiques, avec moins d’éclat, il est vrai, et plus de retenue, s’appelle pour le mandant : « dicter sa volonté », pour le mandataire : « Écouter les vœux des populations »… Pour les journaux, cela prend des noms encore plus nobles et sonores… Et tel est le merveilleux mécanisme des sociétés politiques que voilà déjà plusieurs milliers d’années que les vœux sont toujours écoutés, jamais entendus, et que la machine tourne, tourne, sans la plus petite fêlure à ses engrenages, sans le moindre arrêt dans sa marche. Tout le monde est content, et cela va très bien comme cela va.

Ce qu’il y a d’admirable dans le fonctionnement du suffrage universel, c’est que le peuple, étant souverain et n’ayant point de maître au-dessus de lui, on peut lui promettre des bienfaits dont il ne jouira jamais, et ne jamais tenir des promesses qu’il n’est point, d’ailleurs, au pouvoir de quelqu’un de réaliser. Même il vaut mieux ne jamais tenir une promesse, pour la raison électorale et suprêmement humaine qu’on s’attache de la sorte, inaliénablement, les électeurs, lesquels, toute leur vie, courront après ces promesses, comme les joueurs après leur argent, les amoureux après leur souffrance. Électeurs ou non, nous sommes tous ainsi… Les désirs satisfaits n’ont plus de joies