Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/282

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et noire. De ces prairies montent des émanations pestilentielles. L’humanité qui vit là, dans de sordides taudis, imprégnés de l’odeur des saumures et des pourritures de poisson, est chétive et douloureuse : homme pâles et rabougris ; femmes spectrales, d’une lividité de cire. On ne rencontre que des dos voûtés, d’ambulants cadavres, et, sous les coiffes, dans des visages blancs et fripés, de hagardes prunelles où brille l’éclat vitreux des fièvres. Tandis que l’homme, dans sa chaloupe mal gréée, court la mer, à la poursuite de l’improbable sardine, la femme cultive comme elle peut la terre marécageuse et le coteau de landes au-dessus, où, ça et là, entre les touffes des ajoncs, apparaissent de tristes emblaves, ainsi que, sur des crânes de vieilles, des plaques de peau dartreuse. Il semble qu’une fatalité irrémédiable pèse sur ce coin de terre maudit, et, par les mornes soirs, par les soirs silencieux, on croit voir la mort passer dans l’air. C’est à l’automne, surtout, que la fièvre ravage cette population misérable. Les êtres se recroquevillent davantage, se décolorent, se dessèchent, et meurent, pareils à des plantes malades frappées par un vent mauvais.

En cette atmosphère de cimetière, en cette irrespirable nature, il n’y avait que deux hommes qui se portassent bien : le curé et le maire. Le curé, ou plutôt le recteur, comme on dit en Bretagne, était un homme sec et sanguin, d’une activité incessante, et qui prenait la reli-