Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/285

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vache… Jules, Pierre et Joseph Le Ker, vous m’apporterez le produit d’une pêche… Et qu’elle soit bonne… Pas de vieilles ni de tacots, mes gars… Du solide… du turbot et de la sole… C’est compris, hein ?…

Et, durant plus d’un quart d’heure, il distribua ainsi à chacun sa part contributive, soit en argent, soit en denrées : mottes de beurre, sacs de pomme de terre ou de grain, mêlant les ordres les plus formels aux invectives les plus outrageantes…

Un vieux douanier, qui passait pour esprit fort, et qui se tenait debout, contre un pilier, dans le bas de la nef, se croyant épargné par le terrible recteur, se mit à rire, discrètement, dans sa grosse moustache et sa longue barbiche, qu’il avait très blanches… Le rire n’échappa point au prêtre qui, tout à coup, désignant le douanier, de son bras tendu, au bout duquel la bannière s’agitait et claquait comme une voile de barque dans la tempête :

— Toi, la barbiche… cria-t-il… tu as tort de rire… Et puisque tu te permets, insolente ganache, de rire d’une façon aussi indécente, dans la maison du Bon Dieu… tu donneras vingt francs…

Et comme le douanier protestait :

— Oui, vingt francs, barbiche du diable !… répéta le curé, d’une voix plus retentissante… Et fais bien attention à ce que je vais te dire… Si ces vingt francs, tu ne me les apportes pas, ce soir, après