Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/287

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de fait, il se dévouait immensément. De même que le recteur avait bâti une belle église, en en pierre blanche, de même le maire édifia une magnifique mairie Louis XIII, puis une superbe maison d’école Louis XVI, où jamais aucun enfant ne fréquentait. Il dut aussi interrompre la construction d’une élégante fontaine Renaissance, car les fonds manquaient, et l’on s’aperçut qu’il n’y avait pas d’eau.

La commune était obérée, pliait sous le poids de ses dettes. Les gens étaient écrasés d’impôts, de centimes additionnels, de charges multiples ; mais ils considéraient leur maire comme un saint, comme un héros, et cela soulageait un peu leurs souffrances. Lui, se réjouissait dans ses bonnes œuvres, et il vivait en paix avec sa conscience, dans l’amour de ses concitoyens.

N’ayant plus aucun édifice à élever pour le bonheur du peuple, il songeait philanthropiquement à de vagues catastrophes, où il pût montrer toutes les bontés de son âme.

— Si une épidémie effroyable pouvait fondre tout à coup sur le village ? se disait-il… Oh ! comme je les soignerais, comme je les frictionnerais… Ils meurent, c’est vrai… mais ils meurent l’un après l’autre, avec une régularité monotone… S’ils pouvaient mourir, dix, vingt, trente d’un seul coup ?… Oh comme je pourrais employer mon activité, mes qualités d’organisateur, mes tendresses pour ces pauvres diables !