Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/402

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et les bourgeois… Je me fis donc domestique.

J’entrai, comme second charretier, dans une grande ferme, près de Quimper. C’est là qu’il m’arriva une aventure assez singulière et que je pourrais appeler l’aventure du petit lièvre. J’ai toujours eu l’idée qu’elle avait eu un rapport indirect avec ma destinée… même une influence sur ma destinée. Voici ce que c’est.

Un soir, Jean, ouvrier comme moi à la ferme, revenait, ses outils sur l’épaule, des champs où, toute la journée, il avait durement travaillé. Il entra triomphalement dans la cour, agitant au bout de ses mains quelque chose qui gigotait. Il commençait à faire nuit ; on ne distinguait plus nettement les objets.

— Qu’est-ce que tu as ? demanda le maître, qui se lavait les mains à la pompe.

— C’est un petit lièvre que j’ai pris dans la haie du Clos-Sorbier, répondit Jean.

— Sacré Jean !… fit le maître… Et qu’est-ce que tu veux en faire, de ce lièvre ?

— Je veux l’élever, donc !

Et il demanda :

— Vous me permettez bien, le maître, de mettre mon petit lièvre dans le clapier, à côté des lapins… . et de tirer une goutte de lait, le matin, pour le faire boire ?

— C’est la maîtresse que ça regarde, mon garçon…