Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/48

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— Comment ? Mais je l’ai vue, dans ses mains, monsieur le préfet… Il la tenait dans ses mains, monsieur le préfet… Il la tenait dans ses mains au moment où il me la prit.

— Comment était-elle ?

Le fou prend un air où se mêle une double expression d’admiration et de pitié tendre :

— Elle était, monsieur le préfet, comme un petit papillon jaune, très joli, très délicat, et qui bat de l’aile ; un petit papillon, comme il y en a sur les roses, dans les jardins, les jours de soleil… Je priai le méchant tailleur de me rendre ma pensée… Il avait de gros doigts, courts et malhabiles, des doigts brutaux, et j’avais peur qu’il ne la blessât, elle, si légère, si fragile… Il la mit dans sa poche et s’enfuit en ricanant…

— C’est, en effet, une aventure extraordinaire.

— N’est-ce pas ?… D’abord, j’écrivis au tailleur pour lui réclamer ma pensée, morte ou vive… Il ne me répondit pas… J’allai trouver le commissaire de police, qui me mit brutalement à la porte de chez lui et me traita de fou… Enfin, un soir, des gens de mauvaise mine pénètrent chez moi et me conduisirent ici… Voilà six mois que je suis ici… et que j’y vis, monsieur le préfet, parmi des êtres grossiers et malades, qui font des choses déraisonnables et effrayantes… Comment voulez-vous que je sois heureux ?

Il tire de la poche de sa vareuse un petit cahier soigneusement enveloppé de papier, et, me le tendant :