Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/50

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Il se penche vers moi, et mystérieusement, ses lèvres presque collées à mon oreille :

— C’est ma pensée… Chut ! …

— Vous croyez ?

— Chut ! … Elle me cherche… elle me cherche depuis six mois. Ne le dites pas… ne le dites à personne… Ah ! quel chemin, la malheureuse ! … Elle a peut-être traversé des mers, des montagnes, des déserts, des plaines de glace, avant de venir ici… cela me brise le cœur d’émotion… mais comment voulez-vous qu’elle me trouve, puisque je n’ai plus de nom ? Elle ne me reconnaît plus… J’ai beau l’appeler, elle me fuit… C’est évident… Et que feriez-vous à sa place ? Alors, elle s’en va… Voilà pourquoi monsieur a très mal agi.

Il se retourne brusquement.

— Et tenez, la voyez-vous… là-bas… au-dessus des arbres ?

— Je ne vois rien.

— Vous ne voyez rien ?… Tenez… là-bas… elle descend.

Le pauvre fou désigne dans l’espace un point imaginaire et vide :

— Elle est mauve aujourd’hui, toute mauve… Je reconnais son vol léger et fidèle… Elle me cherche… et nous ne nous joindrons plus jamais… Vous permettez ?

Il salue, s’éloigne, se dirige vers le point imaginaire. Durant quelques minutes il donne la chasse