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Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/74

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par plusieurs siècles… Tant que le génie n’a pas été consacré par plusieurs siècles, l’État le traite en ennemi… Je me résume… Je vais, pour toutes ces raisons, être obligé de reconstruire la Comédie-Française dans son cadre et dans son esprit. Car il est clair, n’est-ce pas ? que, en ce conflit homérique que je viens de vous décrire, c’est toujours le ministre qui l’emporte sur l’homme… Sans quoi, l’homme ne serait plus ministre… Et alors, qu’est-ce que je serais ?…

Cette réflexion mélancolique me glaça, et, pensant à tout ce qu’un tel homme pouvait faire encore, je lui exprimai avec force mes craintes sur la fragilité du cabinet, et je blâmai, non sans énergie, l’acharnement de tant de gens à le vouloir renverser…

— Moi, dit M. Leygues avec indifférence, ces choses-là ne me touchent point… Et je m’en désintéresse absolument…

— Comment ? m’écriai-je… Vous n’êtes point solidaire de votre cabinet ?

— Je suis solidaire de tous les cabinets, riposta vivement le ministre. L’étant de tous, en général, je ne le suis d’aucun en particulier. Et c’est ce qui me permet d’avoir cette situation unique et comique, d’être le ministre éternel que je suis… Les ministères passent… je demeure… Les uns sont radicaux… les autres, opportunistes… ceux-là, nationalistes… d’autres encore, socialistes… je demeure… Que ce soit Waldeck, Méline, Ribot, Dupuy,