Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/93

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savez donc pas ce que c’est qu’un billet de cent francs… nom de Dieu ?

Alors, le directeur des jeux, qui se trouvait précisément derrière l’héroïque soldat, se penchant vers lui, lui tapa discrètement sur l’épaule et lui dit tout bas :

— Attention, colonel… vous dépassez… vous dépassez…

— Vous croyez ?… fit le colonel… Ah ! bigre !…

Et s’adressant au croupier :

— Un louis, seulement, au billet… clampin…

Un vrai type de soldat, comme on voit…


Quelquefois, au plus fort de l’affaire Dreyfus, le colonel venait me rendre visite, le matin… Il entrait chez moi, toussant, crachant, sacrant… Et telles étaient nos conversations :

— Eh bien, colonel ?

— Eh bien, voilà !… Je me remets un peu, comme vous voyez… Mais j’ai passé par de rudes moments… Ah ! nom de Dieu !

— Votre patriotisme…

— Il ne s’agit pas de mon patriotisme… il s’agit de mon grade…

— C’est la même chose…

— Parfaitement, c’est la même chose…

— Eh bien ?

— Eh bien… j’ai cru, pendant quinze jours, qu’ils allaient me l’enlever, mon grade, ces types-là… parole d’honneur !…