Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/95

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Il ajoutait, mélancolique :

— Ah ! tout n’est pas rose dans le métier militaire… Il faut avaler son sabre, nom de Dieu !… plus souvent qu’on ne voudrait… Mais quoi !… on ne peut pas faire autrement… Le patriotisme…

— Le grade de colonel…

— C’est la même chose…

— C’est juste…

Le brave colonel allait et venait dans la pièce, en mâchonnant un cigare dont il ne tirait que de vagues bouffées de fumée… Et il répétait entre chaque bouffée :

— La France est foutue, nom de Dieu !… la France est dans les griffes des cosmopolites…

— Vous avez toujours à la bouche ce mot de cosmopolites… Serait-il indiscret de vous demander ce que vous entendez exactement par là ?…

— Les cosmopolites ?

— Je vous en prie, colonel…

— Est-ce que je sais, moi ?… De sales bêtes…, de sacrés sales cochons de traîtres et de sans-patrie…

— Sans doute… mais encore ?

— Des vendus… des francs-maçons…, des mouches à viande…, des pékins, quoi !

— Précisez, colonel.

— De la fripouille, nom de Dieu !

Et le colonel rallumait son cigare, qui s’était complètement éteint sous l’averse furieuse de ces explications philologiques… Puis :