Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/121

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et redouté des jeunes gens. Son visage, sans barbe, cuit à tous les soleils, gercé à toutes les tempêtes, semblait de vieux cuir ; ses mains énormes et brunies semblaient de vieux chêne ; on eût dit que son regard triste et lointain comme le regard des hommes qui ont longtemps vécu sur la mer ou dans les solitudes immenses, gardait comme un reflet de l’infini. Malgré les dangers de cette rude existence du pêcheur, malgré les privations journalières et les épuisantes fatigues, à peine si on eût pu compter trois ou quatre poils blancs en la chevelure épaisse qui garnissait ses tempes, sous le béret bleu, très aplati sur le crâne.

Ce vieillard passait pour le meilleur pêcheur et le plus intrépide marin de la côte, cette côte tragique de Penmac’h, creusée de gouffres où la mer éternellement mugit, hérissée de rocs noirs, sur lesquels les vagues brisent et tordent leur écume, blanche de colère. Quand la brise était mauvaise et la mer lourde, alors que tous les pêcheurs res-