Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/172

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presque jamais, occupés qu’ils étaient, chacun de son côté, et ils n’éprouvaient à cela aucun chagrin, aucun besoin, tant cette situation leur semblait naturelle, tant ils croyaient qu’elle était la règle commune de la vie. Le dimanche, ils se trouvaient quelquefois réunis, mais, dès qu’ils avaient supputé les gains de la semaine, ils ne se parlaient plus ; non qu’ils se boudassent, c’est qu’en vérité ils n’avaient rien à se dire. Dugué profitait de ce repos pour tailler ses espaliers, bêcher son jardin, remettre une tuile au toit, une planche neuve à la porte, casser du bois, et la Duguette s’en allait commérer dans le village. En dehors du dimanche, elle se réservait le jeudi, pour savonner ses affaires, celles de son homme et des enfants qu’elle confiait, au retour de l’école, à la garde d’une voisine.

L’existence eût coulé, pour Dugué, toujours pareille, et il eût vieilli heureux, si une cruelle déception, « un grand malheux », n’était venu lui mettre au cœur une amer-