Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/206

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sa vie avare et sans bonté, les amertumes de sa vieillesse égoïste et délaissée ! Aucun souvenir heureux du passé ; aucune terreur de l’avenir dans lequel il entrait. Ni une émotion, ni une larme, ni un repentir, ni ce besoin qu’ont les plus farouches de sentir dans leur main qui se glace, la douce chaleur d’une main aimée, et le souffle consolateur d’une lèvre chérie sur leurs lèvres qui se referment à jamais. Il n’eut même pas une pensée pour la terre, « la tè » qu’il avait quittée et qu’il allait retrouver, « la tè » qui avait été la seule affection de sa vie et qui pouvait être le pardon de sa mort. Ne lui avait-il pas dit adieu, un soir, dans le jardin ? Et cet adieu le séparait pour toujours de ce que son âme avait contenu de bon, de grand, d’humain… On dit que les anges viennent, les ailes éployées, au chevet des moribonds recueillir leur dernière prière pour l’emporter aux cieux. Son ange à lui c’était le poulet, le poulet vorace et barbare qui lui crevait les yeux, lui man-