Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/209

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vre. Isidore et Fanchette se tenaient près du lit, et la mère Dugué allait sans cesse du chevet du mourant au poulet qu’elle arrosait du beurre grésillant de la lèchefrite. Bientôt les râles s’affaiblirent, cessèrent, les mains reprirent leur immobilité. C’était fini. Le père Dugué n’avait pas bougé, et son œil qui ne voyait plus et qui conservait dans la mort son regard méchant et cruel, était fixé, démesurément agrandi, sur le poulet qui tournait au chant de la broche et se dorait au feu clair.

— Il est mô ! dit la mère Dugué, après avoir posé la main sur la poitrine de son mari… Fanchette, passe-mé l’miroir, que j’y mette tout d’même sous l’nez.

La glace ne se ternit pas.

— Il est ben mô, répéta la mère Dugué.

Isidore et Fanchette se penchèrent un peu sur le cadavre de leur père et soulevèrent, l’un après l’autre, ses bras qui retombèrent lourdement.

— Oui, dirent-ils, il est bien mort.