Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/400

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geaient de monde, et sur le Cours, qui grouillait de promeneurs. Cet événement, ainsi qu’il arrive au moment des angoisses patriotiques, rapprochait les familles brouillées, attendrissait les haines, confondait les classes. Chacun s’interrogeait :

— A-t-on des nouvelles de nos duellistes ?

Au café Soula surtout l’agitation prenait un caractère inquiétant. Là, des visages rouges discutaient, point par point, les chances de « nos duellistes ». Là on racontait des histoires de duel affolantes, épouvantantes, des morts affreuses, des agonies macabres, des carnages, des massacres, des boucheries. Tandis que les dominos rayaient, en grinçant, le marbre des tables chargées de bière, on n’entendait sortir des bouches enfumées de tabac que les mots : « Sang, cervelle en bouillie, tripes à l’air, cinq pouces de fer dans l’estomac », et Gaspard Gasparrou, un vieux sergent de pompiers, occupait l’attention des groupes ébahis en décrivant,