Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/402

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veaux, exaspérés par l’attente, troublés par les bocks de bière et les petits verres de cognac.

Enfin, le soir, le propriétaire du café Soula reçut une dépêche. La dépêche était ainsi conçue :

« Après plusieurs engagements terribles, Pescaire très grièvement blessé, bras cassé. Me porte bien. — Cassaire.

Bras cassé ! rien qu’un bras cassé ? et aucun n’était mort des duellistes, des témoins, des médecins, des cochers, aucun ! Un misérable et insignifiant bras cassé ! Et c’était tout ! C’était tout, quand il y avait tant de têtes, de poitrines et de ventres ! Et l’autre, le Cassaire, qui se portait bien et qui l’avouait ! Quelle lâcheté ! Alors toute cette ivresse d’héroïsme, toutes ces menaces, tout ce remuement d’une ville, tous ces récits enfiévrés ; alors, la préfecture en permanence, la gendarmerie sur pied, le télégraphe effaré, tout cela aboutissait à ce résultat ridicule, déshonorant : un bras cassé ?