Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/57

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vous assure… Aussi nous ne mangions pas tous les jours parce qu’il fallait d’abord que le père malade ne manquât de rien. Les dames chez qui j’allais s’intéressaient pourtant à notre misère et tâchaient de l’alléger le plus possible, sans cela je crois que nous serions morts de faim… « Écoute, me dit l’une de ces dames, je vais faire mettre ton père à l’hospice, tes sœurs dans un orphelinat ; quant à toi, ma petite, je t’ai trouvé une place à Paris, chez une de mes amies. Veux-tu aller à Paris ? » Cela m’ennuyait beaucoup de quitter mon père malade et mes sœurs toutes petites, mais je sentais qu’il le fallait, que tout le monde n’en serait que mieux, et j’acceptai la place. Mon paquet fut bien vite fait. Munie de toutes les recommandations possibles, de l’adresse de l’auberge où je devais descendre, car le train n’arrivait que fort tard dans la nuit à Paris, je partis, le cœur bien gros et les yeux bien rouges. Tout le temps que dura le trajet, je pleurai, je pleurai… Dans le