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Page:Mirbeau - Profil d’explorateur, paru dans l’Écho de Paris, 21 juin 1892.djvu/3

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L’explorateur (sursautant avec un significatif dégoût sur les lèvres)

Du nègre !… Pouah !… Ah ! non, par exemple !… (Redevenant calme.)… Heureusement, je n’en fus jamais réduit à cette extrémité… Nous n’avons jamais manqué de blancs… C’est de la chance !… L’escorte était nombreuse… en grande partie formée d’Européens… Il y avait des Marseillais, des Allemands, des Italiens… un peu de tout… Quand on avait faim, on abattait un homme de l’escorte… de préférence un Allemand… L’Allemand est plus gras… il fournit davantage… (Patriotique.)… Et puis c’est un Allemand de moins !… L’Italien, lui, est sec et très dur…

Moi

Et le Marseillais ?…

L’explorateur

Le Marseillais sent l’ail… et aussi, je ne sais pas pourquoi, le suint !… Vous dire que c’est régalant ?… Non !… Enfin, c’est mangeable… (Avec des gestes de protestation.) Mais du nègre ? jamais… Je crois que je l’aurais revomi… J’ai connu des gens qui en avaient mangé… Ils sont tombés malades… Le nègre n’est pas comestible… Et il y en a, je vous assure, qui sont vénéneux… (Riant doucement.)… Après tout, peut-être faut-il le bien connaître… comme les champignons. (Il allume une cigarette, se renverse sur le dossier de sa chaise, et, rêve. Silence… Puis, tout à coup, son visage s’embrume d’ennui… Poussant un long soupir.)… Ah ! quelle sale vie !