Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/106

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on l’obligeait à frapper de la tête contre les tombes vides. Et c’étaient toujours des batailles, des hordes sauvages en marche vers de la destruction, du sang, des ruines ; et c’étaient d’affreuses figures de héros ivres, de brutes indomptées, de conquérants terribles, odieux et sanglants fantoches, vêtus de peaux de bêtes, ou bardés de fer, qui symbolisaient le Devoir, l’Honneur, la Gloire, la Patrie, la Religion. Et sur tout ce pêle-mêle, abject et fou, de meurtrières brutes et d’homicides dieux, au-dessus de ces lointains enténébrés, emplis du rouge carnaval des massacres, planait, sans cesse, l’image du vrai Dieu, un Dieu inexorable et fâlot, à la barbe hérissée, toujours furieux et tonitruant, sorte de maniaque et tout-puissant bandit, qui ne se plaisait qu’à tuer, lui aussi, et qui, habillé de tempêtes et couronné d’éclairs, se promenait, en hurlant, à travers les espaces, ou bien s’embusquait derrière un astre pour brandir sa foudre d’une main et son glaive de l’autre. Sébastien se refusait à admettre pour Dieu ce démon sanguinaire et il continuait d’aimer son Dieu à lui, un Dieu charmant, un Jésus pâle et blond, à la main pleine de fleurs, à la bouche pleine de sourires, qui laissait tomber sur les enfants, sans cesse, un regard de bonté infinie et d’intarissable pitié.

Cependant, il n’était point complètement rassuré par cette consolante vision. Des doutes le harcelaient et l’image du Dieu extravagant et sombre des Jésuites le hantait. Il repassait alors ses fautes, fouillait ses menus péchés, avec la terreur soudaine de voir cet impitoyable Dieu lui sauter à la gorge et le précipiter dans l’enfer, comme il avait fait, disait-on, de tant d’enfants