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Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/11

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térieux regard des bêtes. Mais on disait, dans le pays, que pour le fils d’un homme aussi spirituel, aussi savant, aussi à son aise que M. Roch, il était bien en retard, et que c’était bien malheureux. Le père ne s’en inquiétait pas. Il ne pouvait entrer dans sa pensée qu’un enfant, sorti de sa propre chair, pût mentir à sa naissance et manquer aux destinées brillantes qui l’attendaient.

— Comment m’appellé-je ? interrogeait-il parfois, en plongeant dans les yeux de Sébastien un regard dominateur.

— Joseph, Hippolyte, Elphège, Roch, répondait l’enfant sur le ton d’une leçon récitée.

— Souviens-toi toujours de cela… Aie sans cesse présent à l’esprit mon nom… le nom des Roch… et tout ira bien. Répète un peu.

Et d’une voix précipitée, mangeant la moitié des syllabes, le petit Sébastien recommençait :

— J’seph… p’lyte… phège Roch !

— Allons… c’est très bien ! complimentait le quincaillier, satisfait d’entendre un nom qu’il trouvait beau et magique comme un talisman.

M. Roch habitait, dans la rue de Paris, une maison reconnaissable à ses deux étages ; et à son magasin, peint en vert foncé, rechampi de larges filets rouges. Derrière les glaces de la devanture, reluisaient des cuivreries, des lampes en porcelaine, des irrigateurs richement bronzés, dont les tuyaux de caoutchouc, déroulés en guirlandes, formaient avec les bouillottes, les couronnes tombales, les abat-jour dentelés, les soufflets en cuir rouge, cloutés d’or, des motifs de décoration ingénieux et séducteurs. Il tirait grande vanité de cette maison, la seule de la rue qui eût deux