Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/125

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naître des formes adorables, des pensées et des prières se corporiser, penchées sur lui comme des saintes ou comme des lys ; des paysages célestes s’emparadiser d’une lumière inconnue et pourtant familière, se décorer de constellations de fleurs, de corymbes d’étoiles ; il voyait des architectures aériennes surgir, se continuer avec les nuages, en assomptions d’astres ; tout un monde immatériel éclore, florir, s’épanouir, se volatiliser ensuite, dans une exhalaison pâmée de parfums. Ce qu’il avait connu de tendre et de charmant, ce qui s’accumulait en lui de rêves étouffés, d’aspirations captives, tout cela revivait aussi, en cette musique ; tout cela battait des ailes, amplifié, idéalisé, embelli des purifiantes grâces de l’amour. Et doucement, délicieusement, des larmes coulaient de ses yeux ; son cœur s’emplissait d’une angoisse sacrée ; une volupté parcourait ses nerfs en ignition, si aiguë qu’elle allait parfois jusqu’à la défaillance, jusqu’au spasme. Lorsque les orgues s’enflaient, terribles, lorsque s’exaltaient les voix des chœurs, célébrant le miracle eucharistique, c’était encore le même trouble poignant, le même écrasement d’admiration qu’il avait eu, devant la mer, un jour de rafale. Il lui en était resté une impression de grandeur religieuse, extra-terrestre, la surnaturalisation de son être chétif, dans l’énorme et le tout-puissant, qu’il retrouvait là, plus violente, plus austère. Il aurait voulu se perdre dans ces ondes sonores, déferlantes, se sentir soulevé par ces vagues d’harmonie, formidables, où s’évanouissaient les laideurs humaines, et qui étaient douces aux petits, comme les flots, briseurs de navires, sont doux aux mouettes, ai-