Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/13

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lois, le respect des autorités établies, et je ne sais quelle stupidité animale, tranquille, souveraine, qui s’élevait parfois jusqu’à la noblesse. Ce calme bovin, cette majesté lourde de ruminant en imposaient beaucoup aux gens qui croyaient y reconnaître tous les caractères de la race, de la dignité et de la force. Mais ce qui lui conciliait, mieux encore que ces avantages physiques, l’universelle estime, c’est que, opiniâtre liseur de journaux et de livres juridiques, il expliquait des choses, répétait, en les dénaturant, des phrases pompeuses, que ni lui, ni personne ne comprenait, et qui laissaient néanmoins, dans l’esprit des auditeurs, une impression de gêne admirative.

Sa conversation avec le curé l’avait fort excité. Toute la journée, il demeura plus grave que de coutume, plus préoccupé, distrait de sa besogne par une foule de pensées tumultueuses qui se livraient dans son crâne étroit à de trop rudes combats. Le soir, après le dîner, il retint, longtemps, auprès de lui, le petit Sébastien qu’il observait à la dérobée, d’un air profond, sans lui parler de rien. Il dit seulement le lendemain, à quelques clients notables, sur un ton de confidence : « Peut-être se passera-t-il, ici, bientôt, un événement important. Attendez-vous à une grosse nouvelle. » Si bien que, rentrés chez eux, les gens intrigués se livraient aux plus improbables conjectures. De maison en maison, le bruit courut que M. Roch allait se remarier. Il fut obligé de dissiper cette erreur flatteuse, et de mettre Pervenchères au courant de ses projets. D’ailleurs, quoiqu’il aimât à accaparer la curio-