Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/154

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Sébastien avait grandi. Ses traits s’étaient affinés en une maigreur rose, d’un rose pâle de fleur enfermée. Son visage, à ce moment de l’adolescence indécise, prenait des grâces de femme. Et ses yeux très beaux restaient mélancoliques, veloutés et profonds.


À Pervenchères, il y avait eu bien des changements. La tante Rosalie était morte sans laisser de testament. Cette nouvelle qu’il apprit, tout à coup, par une lettre de son père, ne causa qu’un chagrin relatif à Sébastien. Il n’aimait guère sa tante, dont il ne recevait que des bourrades. Pourtant, la dernière fois qu’il l’avait vue, il s’était ému, et il avait ressenti dans son cœur une grande pitié. La vieille fille, couchée, immobile, le menton levé et garni de poils rudes et blancs, les yeux couverts de paupières molles comme des taies, ne l’avait pas reconnu. Elle ne parlait plus, restait insensible à tout ce qui se passait autour d’elle. On l’eût dit morte, si un bruit de glouglou, le dévidement régulier d’un petit râle, n’eût soulevé de temps à autre les ailes de ses narines, d’un mouvement de vie mécanique et localisée. Et près de son lit, des vieilles étaient penchées, avides et geignardes, horribles guetteuses de la mort… Ce fut surtout ce souvenir qui l’impressionna.

Quant à M. Roch, qui n’avait pas compté sur cet héritage, il montra une affliction digne, proportionnée aux quatre mille francs de rentes qui lui tombaient du ciel, inopinément, et jugea le moment bon pour se retirer du commerce. Il eut la chance de vendre son fonds de quincaillerie d’une manière avantageuse, fit bâtir une maison,