Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/163

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les mains de Marguerite, lorsqu’elle le caressait. Oh ! ces mains, aux veines réticulées, aux souples articulations, ces mains délectables et suppliciantes, promeneuses d’extase et de torture, dont le contact était de feu, de glace et de déchirement ! Et, en même temps que ces mains, ce souffle ardent imprégné d’une âpre odeur de jeune fauve ; et, près de ces mains, cette chevelure sombre aux reflets de gouffre, cette chevelure d’où s’exhalaient des parfums sauvages et des poisons amers ! Oui, ce regard était pareil à ces mains ; il évoquait les mêmes choses terribles et défendues… Mais pourquoi ? Cela l’épouvantait et l’attirait tout ensemble. En ces moments, incapable de fixer son attention sur un travail quelconque, ni sur un dessin, ni sur un vers, ni sur un livre, gêné par l’idée que ce regard obsesseur l’enveloppait d’une lumière spéciale qui le désignait à la malveillance de ses camarades, il demandait à sortir, croyant regagner un peu de calme, dehors. Et, sûr de l’impunité, il prolongeait, quelquefois, durant un quart d’heure, ses absences de l’étude, à rôder dans une petite cour voisine, où s’étiolait un magnolia aux fleurs pâles.

Le Père de Kern le rechercha, flatta ses goûts, surexcita ses enthousiasmes et Sébastien fut vite conquis par la douceur de cette voix, au timbre musical d’une suavité prenante. Ses préventions qui, d’ailleurs, n’étaient que de confuses presciences, d’indéterminés avertissements, disparurent, et en dépit de ses résolutions à rester le maître de son cœur, il s’abandonna entièrement au Père de Kern, comme il s’était abandonné à tous ceux qui lui avaient parlé doucement, avec des voix chan-