Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/165

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et surtout le désir ardent de savoir. Délaissant les auteurs du dix-septième siècle, et leur pompe glaçante et leur solennité compassée, il lui fit connaître et aimer Sophocle, Dante, Shakespeare. Avec un charme clair, exquis, passionné, il racontait leurs immortelles œuvres, et les expliquait. Il récita des vers de Victor Hugo, de Lamartine, d’Alfred de Vigny, de Théophile Gautier, lut des pages de Chateaubriand. Et ces vers et ces proses avaient, dans sa bouche, des musiques engourdissantes, des harmonies encore inentendues, de surnaturelles pénétrations. Sébastien, en les écoutant, se sentait comme bercé dans d’étranges hamacs, le front rafraîchi par des souffles parfumés d’éventails, tandis que, devant lui, à l’infini, se déroulaient des paysages de rêve, vaporeux et nacrés, des forêts vermeilles, hantées de figures de femmes, d’ombres tentatrices, d’âmes plaintives, d’amoureuses fleurs, de voluptés errantes et tristes. Contrairement au Père de Marel dont la nature sanguine ne se plaisait qu’aux gaietés robustes, aux dilatantes farces qui fendent la bouche jusqu’aux oreilles, le père de Kern inclinait vers les mélancolies tendres, les pénitentes ivresses, les étreintes aériennes, les mysticismes désespérés, où l’idée de l’amour s’accompagne de l’idée de la mort, toutes choses, à la fois immatérielles et charnelles, qui correspondaient avec ce qu’il y avait d’imprécis, de généreux et d’éperdu dans l’âme de Sébastien, petite âme trop fragile, trop délicate pour supporter sans ravages le choc électrique de ces nuées, et la dépravante émanation de ces poisons. Le Père ne se bornait pas là. Chaque jour, il donnait, à son impatient élève,