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Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/189

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parce qu’il était sans pensée. De ce qui venait de s’accomplir d’abominable, de ce crime – le plus lâche, le plus odieux de tous les crimes –, de ce meurtre d’une âme d’enfant, aucune impression morale ne subsistait dans son esprit. Il éprouvait une lassitude aux vertèbres, une soif qui lui desséchait la gorge, un accablement général de ses membres et de toute sa chair, qui ne laissait d’activité à aucune autre perception de la sensibilité ; mais pas une souffrance intérieure. S’apercevant qu’il se trouvait, en partie, dévêtu, il remit de l’ordre dans ses habits, et ne bougea plus. Il aurait voulu boire. Des bruits de sources chantaient à ses oreilles ; des fontaines d’eau claire se montraient, en de frais paysages, sous des branches pendantes et des lianes fleuries ; il respirait des parfums d’herbe mouillée ; se penchait sur des margelles de puits. Il aurait voulu aussi s’étendre sur le lit comme sur de la mousse, et dormir longtemps ; il aurait voulu surtout ne pas voir cette clarté pâle de lune qui coupait, en deux, la pièce, et rester, dans l’ombre, toujours. L’idée de retraverser ces couloirs, de gravir ces escaliers, ces lumières louches, le dortoir, lui furent un ennui.

Le Père vint s’asseoir, près de lui. Sébastien sentit la pesanteur de ce corps contre le sien. Il ne se recula pas.

— Laissez-moi, mon Père, dit-il… Laissez-moi.

Il y avait de la tristesse dans sa voix, mais non point de l’épouvante ni du dégoût. Le Père s’enhardit.

— Laissez-moi ! Oh, je vous en prie, laissez-moi.