Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/204

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lui et cet homme qui osait prier, qui pouvait prier, cet homme qu’il ne voyait pas et dont l’image était partout, emplissait tout, ses pensées, ses prières, et la lumière du ciel, et le mystère des bois, et l’âme rude de la lande, et les ténèbres de la nuit, et jusqu’aux prunelles de plâtre de la bonne mère sainte Anne. Longtemps aussi, il s’oublia à parcourir les ex-voto simplistes retraçant d’extraordinaires et consolantes aventures : des lions pacifiés, des morts ressuscités, des pécheresses illuminées par la grâce. En sortant de la chapelle, sous le portail, dans une bousculade, Sébastien frôla le Père de Kern, et cela lui causa comme une exaspération de la peau.

Après le déjeuner, qui fut servi dans le parc de la Chartreuse-d’Auray, Sébastien, irrité des gaietés bruyantes et des joies déchaînées autour de sa tristesse, éprouva un besoin de solitude. La société de Bolorec, même, lui était pesante et pénible. Seul, il espéra se reconquérir. Il se retira assez loin de ses camarades, sur une hauteur, et s’assit dans l’herbe, le dos contre un chêne qui le couvrait de son ombre. De là, il suivait les mouvements des élèves. Les uns, fatigués de la course, s’étendirent à terre et dormirent, les autres se mirent à jouer. Rien de ce qu’il avait vu, depuis le matin, n’était dans sa pensée. L’image des choses, que d’ordinaire il gardait si fortement empreinte dans sa mémoire, s’effaçait sans laisser le moindre reflet. Il avait déjà oublié la chapelle, les fontaines miraculeuses, envahies par la foule pittoresque et confiante ; il avait oublié les gorges du Loch et la rivière bouillonnant sur des cailloux, en bas ; et la route aux pentes brusques que d’énormes rochers