Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/224

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— Oui, oui ! il tuait des nobles ! Il en a tué plus de cinq cents !… Je l’aime bien, mon grand-oncle, je pense à lui, toujours. Si la Révolution revient, moi aussi j’en tuerai, va… Et j’en tuerai aussi, des Jésuites !

Bolorec a continué de parler de son grand-oncle et il n’a plus été question de s’en aller.

Sébastien se rappelle cette conversation, dont chaque mot lui revient, accompagné des farouches grimaces de Bolorec… Peut-être l’a-t-on entendue… Pourtant, il est sûr qu’il n’y avait personne autour d’eux, et ils ont causé tout bas. Chaque fois qu’un élève est passé, sous les arcades, qu’il est entré dans les salles de musique ou qu’il en est sorti, ils se sont tus, méfiants. Et, tous, jouent dans la cour, très loin ; et les Pères se promènent, là-bas, le long des barrières, sous les ormes. Il est certain de ne pas se tromper, aucun ne les a entendus. Avec une précision méticuleuse de mémoire, il se revoit assis sur les marches, il revoit Bolorec, près de lui, sa figure rouge et son regard enflammé ; il revoit la cour, il revoit tout, jusqu’à une troupe de moineaux qui picoraient le sable, effrontés et railleurs. Il se rappelle ensuite qu’à un moment une des salles de musique est restée ouverte. Personne dans la salle. Sur une chaise, devant un pupitre, un violon repose. Bolorec ne dit plus rien ; lui, considère le violon. Ce violon l’attire, le fascine ; il voudrait le tenir dans ses mains, ne fût-ce qu’un instant ; il voudrait en arracher des sons, le sentir vibrer, palpiter, se plaindre et pleurer. Pourquoi n’entrerait-il pas dans cette salle ? Pourquoi ne prendrait-il pas le violon ? Aucun œil