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Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/264

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— Être soldat !… Ah ! Dieu, non !… C’est ce dont j’ai le plus horreur… J’aimerais mieux mendier mon pain sur les grandes routes.

Un peu piquée, Mme Lecautel répliqua :

— C’est peut-être ce qui vous attend, mon pauvre Sébastien.

Ils se turent. Le chemin montait, caillouteux et raide. Mme Lecautel ralentit le pas.

Marguerite n’avait pas prononcé une parole. Elle marchait, svelte, souple, mince, tout à fait charmante, dans sa robe très simple de toile écrue, serrée à la taille par un ruban rouge ; et son grand chapeau de paille, orné aussi de rubans rouges, projetait, sur son visage au teint chaud, une ombre transparente et dorée. Ses yeux étaient restés, jeune fille, ce qu’ils étaient, enfant ; des yeux d’une beauté inquiétante et maladive, pervers et candides, étonnés et chercheurs, étrangement ouverts sur la vie sensuelle, par deux lueurs de braise ardente ; sa bouche s’épanouissait, épaisse, rose, d’un rose de fleur vénéneuse. Ses narines, dilatées, humaient, avec un continuel frémissement, les parfums errant dans la brise, qui va, de branche en branche, de calice en calice, porter l’amour et la vie. De temps en temps, elle se penchait sur le talus et cueillait des fleurs qu’elle piquait ensuite à son corsage, de sa main mi-gantée de mitaines, avec des mouvements qui révélaient la grâce délicate des épaules et l’exquise flexion du buste, où la femme s’accusait à peine.

Sébastien craignit d’avoir blessé Mme Lecautel par son mépris du métier militaire ; il chercha à renouer la conversation subitement rompue.

— A-t-on des nouvelles, aujourd’hui ?… de-