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SÉBASTIEN ROCH

— Marguerite !… pense donc… si ta mère te surprenait ? insista Sébastien.

— Je veux !… Je veux… Tu viendras ?

— Eh bien, oui !…

Elle se remit à cueillir des fleurs. Son chapeau plongeait dans la mer des épis, reparaissait vibrant au soleil, ainsi qu’une petite barque folle, pomponnée de nœuds rouges. Et sur son passage sillé de rires agiles, les blés remués et froissés faisaient des houles. Elle revint, près de sa mère, portant dans ses bras une odorante touffe de fleurs.

— Vois, mère, le beau bouquet !… C’est moi qui l’ai cueilli, toute seule… Sébastien n’a rien cueilli, lui. Il ne sait pas !…

— Ça ne m’étonne point, dit Mme Lecautel qui, aidée de sa fille, se releva… On ne lui a pas appris cela, au collège, sans doute.

Sébastien ne se blessa point de l’ironie de cette phrase. Peut-être même ne l’entendit-il pas ! Sa figure s’était rembrunie ; l’expression d’inquiétude était revenue, éteignant d’une lueur trouble l’éclair franc de ses yeux. Mme Lecautel, un peu lasse, prononça quelques mots indifférents auxquels Sébastien répondit à peine. Ils rentrèrent en silence. Seule, Marguerite chanta, en arrangeant ses fleurs.

M. Roch, assis sur un banc, dans son jardin, près du perron, lisait le journal quand Sébastien passa auprès de lui. Machinalement, entendant du bruit, il leva les yeux sur son fils, et les rabaissa aussitôt sur le journal.

— Un beau temps ! dit-il.

— Oui, un beau temps ! répéta Sébastien.

Puis il gravit les quatre marches du perron et alla s’enfermer dans sa chambre.