Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/342

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à il ne savait quelles merveilleuses conquêtes d’art, plus incertaines encore ; et cela lui paraissait facile et nécessaire. « Je veux aimer les pauvres gens, se disait-il, ne plus les repousser de ma vie, comme Kerdaniel et les autres m’ont repoussé de la leur… Je veux les aimer et les rendre heureux… J’entrerai dans leurs maisons, je m’assoirai à leurs tables vides, et je les instruirai et je les réconforterai, et je leur parlerai comme à mes frères en douleur. Je veux… » Il voulait tout ce qui est grand, sublime, rédempteur et vague, ne cherchant pas à approfondir, ni à préciser ces chimériques rêves qui rafraîchissaient son âme, comme l’haleine de Marguerite endormie rafraîchissaient son front.

La lune s’apâlissait ; une lueur rose montait au ciel oriental, annonçant les approches du matin. Marguerite dormait toujours. Sébastien, inquiet de l’aube naissante, la réveilla.

— Marguerite !… Il faut rentrer… Voici le jour qui vient.

Sur la route, au bout de l’allée, on entendait des rumeurs de voix et le pas lourd des travailleurs champêtres se rendant à l’ouvrage.

— Entends-tu, Marguerite !… C’est le jour !

Du fond de la nuit claire, la brise humide et plus fraîche des premières gouttes de rosée apportait un bourdonnement confus, le léger et universel froissement des êtres et des choses qui s’étirent, se secouent et vont se réveiller. Et les branches hautes des trembles commençaient à se teinter de rose, perceptible à peine.

— Marguerite ! Marguerite !… C’est le jour.

Elle parut étonnée d’abord, du ciel, des arbres,