Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/48

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Étourdis, ils ne bougeaient point, et ils regardaient la masse des wagons, d’un regard stupide.

En face d’eux, d’une portière vivement ouverte, un prêtre sauta sur le quai, preste et leste. Sans une hésitation, et d’un geste gracieux, il salua M. Roch.

— C’est sans doute ce cher enfant, dit-il… notre cher Sébastien !… Bonsoir, mon petit ami.

Et, après avoir caressé l’enfant, il tendit la main au père, en souriant :

— Quel charmant enfant, monsieur Roch !… Et comme nous l’aimerons !

Sous sa barette, que l’élan du saut avait déplacée et mise de travers sur l’oreille, il avait une physionomie jeune, très douce, des yeux rieurs, un air d’attirante bienveillance, de bonté drôle.

M. Roch eût voulu parler. L’émotion d’être en présence d’un Jésuite, l’étonnement d’avoir été reconnu par ce Jésuite qui ne le connaissait pas, l’en empêchèrent. Il ne trouva aucun mot, aucune phrase. Toute son éloquence s’en alla en révérences embarrassées, en salutations éperdues, en gesticulations comiques, devant cette simplicité, cette jeunesse, cette grâce qu’il n’avait pas prévues, qui le déconcertaient plus que la solennelle, la sacerdotale, l’imposante vision en laquelle il s’était complu. Que ce Jésuite eût sauté du train, comme un gamin, il ne pouvait admettre que cela fût croyable, alors qu’il avait imaginé il ne savait quelles vagues processions, quelles mystérieuses pompes. Il ne pouvait admettre, non plus, qu’un Jésuite fût vêtu de noir, ainsi qu’un curé, sans le moindre insigne décoratif, où se révélât la puissance de l’Ordre. Tout cela le paralysait. Cependant, il tenta un effort, balbutia :