Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/70

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et malpropre. Et le rire recommença, renforcé cette fois d’autres rires plus aigus et de plus insultantes moqueries. Ils imitaient l’aboiement des chiens, le claquement des fouets, le son de la trompe, le galop d’une chasse à travers les halliers.

— Hardi, les toutous !… Hou ! hou ! hou !

Toutes les voix, tous les regards, le petit Sébastien les sentit peser sur lui, infliger à son corps la torture physique d’une multitude d’aiguilles, enfoncées dans la peau. Il eût voulu se ruer contre cette bande de gamins féroces, les souffleter, les piétiner, ou bien les apaiser par sa douceur, et leur dire :

— Êtes-vous fous de rire ainsi de moi qui ne vous ai rien fait ?… Qui voudrais tant vous aimer ?

S’il avait eu son pain d’épices, ses tablettes de chocolat, il les leur eût distribués.

— Tenez, vous voyez que je ne suis pas méchant !… Et je vous en donnerai d’autres.

Un Père surveillant, qui, non loin de là, lisait son bréviaire, vint se mêler au groupe. L’enfant se crut sauvé : « Il va les faire taire, les punir, » pensa-t-il. S’étant informé pourquoi l’on riait de la sorte, le Jésuite se mit, lui aussi, à rire, d’un rire amusé, discret et paterne, tandis que son ventre rond, secoué de légers soubresauts, gonflait gaiement la soutane noire. Alors, pour ne plus entendre ces rires et ces voix qui lui faisaient mal, pour échapper à ces regards qui le martyrisaient, Sébastien courba la tête et s’éloigna désespéré.

Dans la vaste cour, entourée d’une haute barrière blanche et fermée sur le parc par une qua-