Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/73

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moqueurs, inexorablement ; cela sortait des murs, du sol, tombait du ciel ; cela franchissait les barrières, circulait dans les autres cours, ranimait, d’une gaieté mauvaise, la somnolente récréation d’un jour de rentrée.

— Quincaillier !… hou ! hou !

La tête molle, les membres lâches, Sébastien s’accota contre un arbre et il pleura. Durant une minute, sa petite âme d’enfant, qui, pour la première fois, venait de regarder et d’entendre la vie, mesura tout l’infini de la douleur, tout l’infini de la solitude de l’homme.

Longtemps, il demeura, appuyé contre son arbre, les bras ballants, inerte. Dans sa détresse, une idée bizarre, un désir obstiné d’enfant, surnageaient ; il eût souhaité voir la mer. Pourquoi ne la voyait-il pas, nulle part ?… Pourquoi ne l’entendait-il pas ? Puisque les Jésuites avaient acheté un grand bateau ?… Où était-il, ce grand bateau ?… Un vol de pigeons passa, tournoya au-dessus de la cour. Il le suivit, jusqu’à ce qu’il eût disparu, derrière le collège. Bien sûr que les bateaux devaient voler sur la mer, ainsi que les pigeons dans le ciel ; il se rappelait en un livre d’images, un bateau, avec des voiles déployées et toutes blanches, comme des ailes. Sa pensée vagabondait d’un objet à l’autre, s’attachait surtout aux choses flottantes, aux nuages, aux fumées qui se dissipent, aux feuilles que le vent emporte, aux flocons d’écume, s’en allant à la dérive des courants. Mais elle le ramenait, d’un coup de fouet brutal, très vite, à l’implacable réalité de sa misère. Il se remémora, successivement, tous les détails de son voyage, depuis le moment où il avait quitté la