Page:Mirbeau - Théâtre I.djvu/129

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GERMAINE

Ne puis-je donc travailler ?… J’ai de l’énergie… la volonté d’être libre et heureuse…

LUCIEN

Et du travail ?… En auras-tu ? Oh ! ma chère Germaine… aie confiance en moi qui connais la réalité des choses… et qui me suis trouvé… dans des circonstances pénibles… aux prises avec elle… Épargne-moi la douleur de recommencer avec toi… une expérience… où, seul, j’ai failli sombrer tout entier… Car les suggestions de la misère sont effrayantes… On y laisse quelquefois sa vie… on y laisse le plus souvent quelque chose de sa fierté, de sa conscience… et… ce qui est pire, de son amour… si le malheur veut qu’on aime, en ces tragiques moments… Et pourtant… moi aussi… j’avais de l’intelligence… de l’énergie… je t’assure… un métier dans les mains… la volonté âpre et tenace de me conquérir par le travail… J’avais tout cela… mais je n’avais pas de travail… Oui… durant plus de trois ans… je l’ai vainement cherché… Vainement j’ai frappé à toutes les portes… aucune ne s’est même entre-bâillée… Cela n’est pas croyable… Cela est ainsi pourtant…

GERMAINE

Pauvre petit !

LUCIEN

Pour ne pas absolument mourir de faim… de faim, tu entends… j’ai dû accepter des besognes humiliantes… descendre à des compromis quelquefois honteux… Ah ! si je racontais cette partie de ma vie… Et j’étais un homme, c’est-à-dire un être privilégié… protégé… à qui la société… dit-on… permet toutes les activités,