Page:Mirbeau - Théâtre I.djvu/137

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GERMAINE, un peu fébrile.

Pourquoi me taquiner ainsi ?… Pourquoi m’énerver ainsi ?… Je ne lui demandais rien… qu’un sourire, de temps en temps… un élan… de la confiance… de la bonté… eh bien, oui… de la bonté ! Est-ce trop, vraiment ? Mais tu ne la connais pas… Elle aurait dû être l’excuse de cette maison… Elle aurait pu… par des bontés faciles… en somme, et à défaut de générosité naturelle par son tact de femme — tu vois si je suis exigeante — atténuer le mal que mon père prodigue partout… autour de lui… Non… jamais… Elle sent confusément… mais elle sent tout ce que ses machinations ont de trouble… tout ce que ses appétits ont de féroce et de furieux… et, malgré de petites plaintes… de petites révoltes… grâce à une compréhension singulière des devoirs de l’épouse… elle les défend, les sert… et, au besoin, y ajoute… (Avec plus d’amertume.) Ce que je lui reproche… ce n’est point de ne pas m’aimer… c’est que moi… je n’aie pas pu l’aimer… comme j’eusse voulu aimer ma mère…

LUCIEN

Mais c’est ce que tu me dis, ma chère Germaine, qui me la rend, au contraire, si touchante… Les êtres émeuvent par leurs faiblesses, quelquefois par leurs ridicules, bien plus que par leurs vertus… Ta mère, mais si je la connais… est une pauvre petite âme… indécise et obscure… en exil dans la richesse… Elle ne sait pas, elle non plus… Et elle fait ce qu’elle peut…

GERMAINE, frémissante.

Et mon père… fait-il aussi ce qu’il peut ?… Des rapts… des coups de bourse… des chantages… des escroqueries